NICOLAS SLONIMSKY
traduit de l'américain par Francis Hérard
et tiré du supplément de
Keyboard & Guitar Player Magazine de Mai '92



Slonimsky nous parle de sa rencontre avec Zappa.
Débute par une improvisation sur sa publicté pour les laxatifs Castoria
(voir plus bas)


Frank Zappa est connu en tant que découvreur de talents inconnus.
A l'occasion du concert donné pour son annversaire le 21 décembre 1981 à l'auditorium de Santa Monica, il avait présenté à son public rock un pianiste soliste octogénaire, un pilier de l'histoire de la musique, Nicolas Slonimsky", un homme qu'il présenta comme "notre trésor national à tous". Âgé maintenant de 98 ans ( # article publié en '92) Slonimsky est le doyen des géants de la musique classique contemporaine. Sa contribution musicale s'étend sur un nombre incroyable de disciplines.

Il a à son actif, en tant que chef d'orchestre, les premières représentations mondiales des œuvres symphoniques de Charles Ives (le compositeur américain le plus important de la première moitié du XX siècle), du 1er Concerto pour piano de Bela Bartok (Avec Bartok himself au piano!) et de "Ionisations" d'Edgar Varèse (avec Edgar lui-même actionnant des sirènes!). En tant que personnalité médiatique, Slonimsky a aussi bien ravi que choqué profondément son public grâce à des qualités exceptionnelles et quelques hérésies musicales mais toujours avec brillo et humour: En interprétant "the Black Key Etude" de Chopin avec une orange (!) lors du "Tonight Show" avec Johnny Carson, en remportant des dizaines de milliers de dollars dans les années '50 avec l'émission "the Big Surprise", en composant des musiques disjonctées pour des spots publicitaires de laxatifs et de pâte dentifrice empruntant des mélodies de Rachmaninoff. Il est l'auteur d'une demi-douzaines de bouquins, dont le délicieux ouvrage pour "musical raconteurs" (in english dans le texte) intitulé "Lexicon of Musical Invective" ainsi que l'écriture et trois mise-à-jours de la non-moins définitive version de 2500 pages "Baker's Biographical Dictionary of Musicians", qui aligne plus de 13.000 références. Il a aussi inventé de nouveaux accords présentés dans son "Thesaurus of Scales and Melodic Patterns", travail qui est à l'origine de l'appel téléphonique de Frank et de l'amitié qui s'en est suivie.

De retour d'un voyage dans sa ville natale, Saint Petersbourg (ancienne Leningrad), Slonimsky continue ses travaux, interrompu par de fréquentes visites de personnalités renommées du monde musical. Slonimsky est finalement devenu un proche de la famille Zappa, résidant pas très loin de chez elle en compagnie d'un majordome et d'un chat dont le nom Grody-To-The-Max lui fut donné par la fille aînée de Zappa, Moon Unit.

Nicolas Slonimsky: " Frank m'a appelé car il connaissait mon livre "Thesaurus of Scales and Melodic Patterns". Vous savez, ce livre est comme qui dirait une sorte de best-seller. Les Jazzmen l'on adopté. C'est un bouquin à 50 dollars donc tout le monde peut se le procurer. Frank m'a dit qu'il connaissait son existence mais qu'il n'avait jamais réalisé que j'habitais à Los Angeles. Il a voulu me rencontrer et nous sommes devenus amis, c'était il y a 8 ou 9 ans. Frank m'a tout de suite proposé de jouer du Synclavier avec lui.
Il m'a demandé: "Voulez-vous jouer avec moi, être mon soliste?"
J'ai répondu: "Quand a lieu le concert?"
Il m'a dit: "Demain"
Je lui ai répondu: "Qu'est-ce qu'on va faire?"
Et quand nous avons commencé à répéter je me suis dit: "Qu'est-ce que j'ai à perdre"
A l'époque j'aurai accepté n'importe quoi.
Si quelqu'un m'avait dit: "Voulez-vous apparaître avec un groupe d'éléphants?" j'aurai certainement répondu: "C'est d'accord je vais jouer avec des éléphants".
J'ai toujours pensé au plus profond de moi-même "qu'est-ce que j'ai à y perdre?"
Le concert a été un succès complet. En temps normal je joue devant un public de cent à deux cent personnes mais cette fois-ci il y avait une foule énorme, qui criait et tout çà.
Par la suite j'ai gardé une profonde amitié avec Frank et me suis rendu à son domicile plusieurs fois. J'ai pu essayer son équipement et j'ai été très impressionné! J'ai joué sur son piano avec un octave supplémentaire, le Bösendorfer.
C'est un grand homme. Je suis très fier d'avoir fait sa connaissance. Je ne le vois plus beaucoup actuellement car je ne conduis plus

Nous sommes en passe d'entrer dans un nouveau millénaire d'ici huit ans. J'admire tout ce que Frank fait, parce qu'il a littéralement créé la musique du nouveau millénaire. Il a effectué un très, très beau travail, ses idées sont belles. Cela aura été une très grande chance pour moi d'avoir vécu assez longtemps pour vivre l'émergence de cette musique d'un style totalement nouveau, qui n'existait pas il y a seulement une centaine d'années, une musique qui n'est pas seulement la recombinaison d'une dissonance entre deux tons, qui sont des intervalles, mais une variété de tonalités différentes combinées de différentes manières - c'est la meilleure définition que je peux en faire. Sa musique ne recèle aucun quarts de ton ni d'autres petits intervalles. Zappa s'en tient à douze notes différentes et 11 intervalles. Ce qu'il arrive à en faire en terme d'organisation est très éloigné, à des années-lumière d'une approche traditionnelle.
C'est le secret de sa grandeur. Mais, cependant, il reste très précautionneux, il n'assemble pas les choses sans un ordre précis ou sans avoir un but pour ce qui va suivre.
C'est un personnage en tout point remarquable.

C'est quelqu'un de complètement neuf et différent. Zappa colle au style de musique classique. Il est classique et constructiviste. Et pourquoi devrait-il tout connaître de l'harmonie ou du contrepoint? Webern n'a d'ailleurs jamais fini son bouquin sur le contrepoint. De ce côté, Zappa pourrait se tenir sur un pied d'égalité avec Shoenberg. Car Shoenberg ne s'est jamais éloigné de sa gamme de 12 tons et de 11 intervalles, univers que Webern et Stockausen ont expérimenté de telle manière que la musique contemporaine est devenue quelque chose de complètement différent et de pratiquement aussi hermétique que la musique chinoise. Zappa lui, a assemblé des sons et obtenu quelque chose de neuf mais qui n'altère pas les gammes et les intervalles.
C'est un homme remarquable et je pense qu'il est promu à un grand triomphe à travers sa nouvelle conception de l'harmonie, du contrepoint et de l'utilisation des intervalles, qui ne fait pas appel à la l'ancienne. Il peut vraiment faire ce qu'il veut à l'heure actuelle et grâce à sa nouvelle technologie il n'y a aucune limite à ce qu'il peut entreprendre".