Matt Groening
Le Créateur des Simpsons:
"Frank est mon Elvis à moi"
Matt Groening est un méchant garçon qui nous fait rire en traitant de choses graves par le biais de l'humour. Pas étonnant, de ce fait, que longtemps avant de devenir le créateur des Simpsons, il fut un fan de Frank Zappa. Né à Portland dans l'Oregon en l'an 1954, Groening déclare qu'aucune autre figure issue de la culture populaire américaine n'a eu autant d'influence sur lui. Au cours des misérables années qui l'on vu sécher l'école, il a vraiment traqué son héros partout et n'importe quand, lors de dizaines de représentations aussi éloignées pour lui que Seattle ou Los Angeles. "Frank est mon Elvis" s'esclaffe-t-il! "Son exemple m'a beaucoup encouragé, conforté et m'a laissé penser que c'était OK d'aller sur mon propre chemin et de ne pas me laisser guider par les institutions."
La débrouillardise et une bonne dose de chance lui ont permi une fois, en ces temps misérables, de rencontrer Zappa en personne. "C'est quand j'étais allé le voir avec son grand orchestre en '75 à Los Angeles, je m'étais pointé un jour avant en pensant pouvoir assister aux répétitions, et j'avais vu juste. J'ai pénétré à l'intérieur et Frank était en train de diriger les musiciens. Je lui ai demandé si je pouvais m'asseoir et écouter et il a répond oui!. C'était la première fois que je le rencontrais. J'ai déménagé pour Los Angeles au cours d'une nuit moite d'août '77. Ma caisse avait rendu l'âme en plein milieu de l'autoroute d'Hollywood juste à côté de Capital Records et en même temps j'écoutais à la radio un disc jockey qui venait d'être viré: il était complètement saoul et engueulait la station au cours de sa dernière émission. Cela a été mon baptème de" la ville des anges" et donné naissance à mon album "Life in hell".
(Cliquez sur Bart pour un aperçu...)
Entre 1979 et 1985, Groening s'improvise journaliste musical dans une rubrique hebdomadaire intitulée "Sound" pour un obscur fanzine "The Los Angeles Reader", brodant sur ses mésaventures pour aller de club en club en voiture déglinguée. Bien avant de devenir le créateur de Bart Simpson, il avait décidé de devenir le biographe de Zappa. Il possède toujours 500 pages de notes dactylographiées accompagnées de quelques 1500 documents de recherches. Le succès de Matt avec son album auto-produit "Life In Hell" ainsi que l'apparition de Bart dans le Tracy Ullman Show en '87 suivi de la première des Simpsons le 17 Déc. '89 le catapultent dans l'univers de la télévision commerciale. Par nécessité le projet de biographie est mis de côté mais pas son intérêt.MG: En '88 j'étais à KCRW, une station FM locale, à passer une heure de musiques de Zappa en temps qu'invité du programme de Roger Steffen sur la musique des années '60. Au milieu du show, Frank nous a appelé, réjouis et surpris que l'on puisse programmer autant de morceaux en une seule fois. J'étais aux anges. Puis un an plus tard j'ai donné une interview pour "Interview Magazine" et le journaliste avec qui je discutais finit par me dire que Frank lui avait avoué adorer les Simpsons. Par son biais, Frank m'invitait à lui téléphoner. C'est ce que j'ai fait et nous sommes devenus amis.
Mon but a toujours été de divertir une partie du public tout en en dérangeant une autre ricane-t-il. Et quand Georges Bush a déclaré dans un discours que les Américains devraient plus ressembler aux Waltons qu'aux Simpsons, ça été grand! Je pense réellement que dès que Bart sera en âge de se raser, il adoptera à coup sûr la moustache à la Zappa.Quand avez-vous écouté du FZ pour la première fois?
J'avais acheté l'album "Freak Out" dans une épicerie, parce que c'était la plus ideuse des pochettes qui trônaient sur l'étalage. C'était un achat conséquent , composé de deux disques (#la version européenne n'en comptait qu'un seul) que j'ai ramené à la maison et je me souviens que c'était la chose la plus abominablement géante qui m'avait été donnée d'écouter jusque là.Quel âge aviez-vous?
Attendez, on était en '66, je devais avoir 12 ans.Qu'est-ce qui vous attirait, son look si hideux et étrange?
J'aime les monstres. Rien que l'idée des monstres m'intéresse et son album s'appelait "FREAK OUT" (trad: libérez le monstre en vous) et il y avait une bulle de BD sur la pochette.La disque de Frank vous a-t-il transformé en monstre ?
Non, mais j'étais au paradis de savoir que quelqu'un était en train de pousser le truc à fond. Cela sonnait exactement comme la musique fun doit être, et du premier au dernier morceau j'ai adoré l'album.Vous l'écoutiez à la maison, qu'en disaient vos parents?
Mes parents à l'époque critiquaient les garçons qui ressemblaient trop aux filles selon eux . Et quand je leur ai montré le disque, ils ont du se dire que ce n'était pas le cas avec ces lascars-là, arborants fièrement boucs et moustaches. C'était le cliché de l'époque.Vous deviez être réjoui!
Bien sûr, mes amis et moi étions en permanence à la recherche des pires choses, que ce soit en musique, au cinéma ou bien dans les comics, tout ce qui pouvait atterrir entres nos petites mains avides!.
Et avec la musique de Frank ont en a pour notre argent. Mon camarade de classe Richard Gehr - non, pas l'acteur de cinéma! - et moi avions pris l'habitude de nous consoler des tours de punition dans la cour d'école en chantant les chansons de Frank Zappa.Quand-est-ce que vos albums ont commencé à avoir du succès ?
1984, c'est quand j'ai publié mon premier bouquin. En fait le graphisme de "Life In hell" s'inspire directement de la pochette de "HOT RATS". J'aime bien l'idée de faire des choses que l'on peut lire de n'importe quel coin d'une pièce. Beaucoup d'albums de l'époque étaient affreusement difficiles à lire mais au contraire "Hot Rats" était très simple. Il y avait juste le titre d'une part et le nom du groupe d'autre part avec une seule image au milieu: c'est ce principe que j'ai copié.Donc Frank Zappa a eu une réelle influence sur vous en tant que dessinateur de cartoons ?
Son humour, oui, à jamais. Ses positions sur l'autorité, l'éducation, la culture, la politique et la musique m'ont marqué définitivement. A chaque fois que Frank mentionnait quoi-que-ce-soit sur un album ou un compositeur lors d'une interview, je partais à sa recherche. Zappa était un grand précepteur, il était vraiment un exemple à suivre pour moi. A l'époque je pensais être le seul à subir son influence mais j'ai rencontré beaucoup de gens depuis. Il existe une génération entière de personnes qui font des choses marrantes ou bizarres qui ont grandi bercés par la musique de Frank. Il a tenu un discours anti-drogue depuis ses débuts et le résultat est que je n'ai jamais pris de drogue. C'était génial d'avoir un héros de la contre-culture qui ne soit pas "chargé" en permanence.
Je pense que c'est probablement un des plus grands compositeurs de l'histoire de la musique. L' étendue immensede ses compositions est étourdissante. Et avec notre culture fragmentée, il existe très peu de personnes susceptibles d'apprécier plus qu'une fraction de son travail. Les fans de sa musique rock ne se soucient pas énormément de sa production orchestrale et ceux qui se rendent à ses concerts de musique contemporaine n'écoutent pas ses solos étendus de guitare. J'ai eu de la chance car il a fait mon éducation et je me sens privilégié à chaque fois qu'il sort à nouveau quelque chose .Une des choses qui m'a toujours impressionnée chez Zappa, à part le charme de ses inventions rythmiques et mélodiques, c'est qu'il n'est jamais dépassé par quoi que ce soit, petite ou grande culture. Je veux dire, qui d'autre que Frank aurait imaginé rassembler Varèse et le doo-wop ?. Il était si génial, j'ai donc pris la décision en mon âme et conscience, après avoir écouté sa musique, de faire la même chose, de ne jamais me laisser dépasser par quoi-que-ce-soit. C'est cela... je me foutais bien de savoir si ça irait loin ou pas, on verrait juste ce qui allait se passer. Beaucoup de gens réagissent ainsi: "Oh! cet univers culturel est trop crasseux pour moi!" ou "Ce genre de culture est bonne pour les bourges! " moi, j'essaye de ne pas aller dans ce sens. J'ai décidé que je laisserais seulement parler ma fantaisie au travers des médiums qui avaient fait le bonheur de mon enfance: les films et toutes sortes d'écrits.
La raison pour laquelle je n'ai jamais fait de musique est que je me suis fait virer de la chorale de l'école parce que j'étais le pire de la troupe des chanteurs vraiment mauvais. J'ai donc réalisé que ce n'est pas au travers de la musique que j'allais imposer ma marque.
Heureusement il y avait mon héros: Frank Zappa - il pratiquait toutes sortes de musiques et de collages musicaux, du travail artistique, du graphisme et des publicités. Je me suis dit: "C'est çà que je veux faire".Vous saviez qu'il conduisait ses affaires depuis la maison familiale ?
Bien sûr, il en avait parlé dans différentes interviews et comme je vous l'ai déjà dit, j'étais plus qu'un officionado pour dénicher tout ce qui pouvait le toucher de près ou de loin. Puis j'ai vu ces réclames de guitares dans de vieux magazines et j'ai été beaucoup marqué par des publicités pour United Mutations dans de vieux comics-book. Au cours du temps je me suis mis à faire des comics strips (# Petite BD de 5 ou 6 cases que l'on rencontre dans les journaux) et un show TV, des pubs TV, du graphisme et de l'illustration, du journalisme, tout ce qui qui pouvait s'accorder avec moi, tout ce dont je pouvais m'emparer, essayant constamment de faire quelque chose de drôle... ce qui était l'influence directe de Frank.Je ne voudrais pas vous forcer à le dire, mais il semble qu'il ait été une personne plus que significative dans votre développement.
Il ne peux y avoir de figure culturelle qui m'ait plus influencé.Même pas Dylan ou les Beatles ?
Pas aussi longtemps, non.Sérieusement influencé ?
Oui, hé!, j'ai même déménagé à Los Angeles (rires). Je pense que ce que Frank ne réalise probablement pas est que, beaucoup, beaucoup de gens de part le monde ont internationalisé ses idées. Comme moi il n'ont certainement pas fait de carrière musicale, mais ils ont fait d'autres trucs en continuant à apprécier son travail et à subir son influence.
C'est trop triste que le public américain ne témoigne pas le même intérêt pour lui et pour sa remarquable intelligence.
Il est difficile à caser, il produit tellement de choses différentes que cela fragmente son auditoire. De plus il ne se présente pas comme une figure sacrée de la séduction (#as a figure of solemn glamour) au contraire de n'importe qui d'autre dans la pop music. Il ne regarde pas de côté, il ne se rammase pas et ne se mord pas la lèvre inférieure pendant ses solos de guitare, tous ces trucs (rires).
De plus les Américains sont très suspicieux à l'égard d tout ce qui peux être cérébral et Frank ne déguise pas suffisamment son intelligence .
En plus d'être un homme aux talents multiples, ce qui m'a toujours fasciné chez lui est sa dimension mélodique qui est très délaissée dans la musique contemporaine. Ses mélodies sont géniales. Il peut y avoir, rythmiquement parlant, des choses que je n'ai jamais entendues auparavant et enfin hormis les spécificités de sa musique, existe-t-il quelqu'un qui a fait autant de tournées que Frank ? Réfléchissez bien à çà. Qui a bien pu composer plus de musique populaire que Frank Zappa ?
Bien souvent, on a affaire à des musiciens de rock qui barbotent dans la musique classique alors que Zappa est le seul qui l'ai fait avec autant de sérieux. Il y a bien un membre des Grateful Dead qui a collaboré avec des compositeurs anglais mais Zappa est le seul qui en compose encore à l'heure actuelle. Existe-t-il quelqu'un qui a fait preuve d'autant d'invention dans l'étendue des styles d'interprétation de son propre travail durant toutes ses années? Examinez seulement combien il est prolifique - bien que la quantité ne prouve absolument rien - mais l'incroyable quantité de sa production combinée avec une qualité absolument unique est hallucinante.Frank pense que dans le futur, de toute façon, on ne se souviendra de pas grand chose . Pensez-vous, dans l'hypothèse que l'on retienne des choses dans le futur, que l'on se souviendra de Frank ?
Frank se situe vraiment à part par rapport à la façon dont on mène une carrière de nos jours. Il ne fait pas son auto-promotion d'une manière conventionnelle. Il n'essaye pas absolument d'être apprécié pour chaque chose qu'il fait - je pense qu'il le devrait - pas plus qu'il ne l'a fait jusqu'à maintenant. Son but n'est pas de mystifier les érudits pour toujours. On inventera des façons d'apprécier la musique de Zappa dans le futur... Je pense qu' historiquement il y aura une grande place réservée à sa musique et puis il donne tellement de plaisir au niveau de l'instant qu'il y a de fortes chances que l'on se souvienne de lui à cause de çà.. MG